Françoise Hardy  -  Magazine Covers
Le Parisien N°  
France : Le Parisien, 30 march 2018.
LE PARISIEN WEEK-END. Trois ans après avoir frôlé la mort, l’icône des sixties nous offre Personne d’autre, un disque en forme de résurrection. Et confie ici quelques messages personnels et
artistiques, avec l’élégance et le franc-parler qui caractérisent cette grande dame de la chanson française.

Cette femme affirme n’être « que nostalgie ». Pourtant, elle est aussi élégance. Infiniment. Dans le verbe et dans l’allure. En ce 8 mars pluvieux, quand elle arrive avec quelques minutes de retard à
l’hôtel Raphaël, à Paris, et s’excuse platement derrière ses verres teintés, on est frappé d’emblée par le timbre doux et chaud qui reste sa signature vocale, et son vocabulaire soutenu, même pour
quelques banalités d’usage. Avant d’arriver jusqu’à nous, Françoise Hardy est revenue de loin. Il y a trois ans, ses médecins lui avaient annoncé sa mort prochaine, lui suggérant même de prévenir
ses proches alors éloignés, notamment « Jacques », son ex qui ne le sera jamais vraiment... Miracle de la science et peut-être du ciel dont elle a beaucoup sondé les pensées, en astrologue avertie,
la longue dame argentée s’en est sortie.

Elle a tant et si bien remonté la pente que son ami, l’ex-attaché de presse Marc Maréchal, n’a pas dû se démener outre mesure pour la convaincre d’enregistrer un nouvel album, finement
intitulé Personne d’autre. Dans ce petit bijou triste et charmant où ses textes ciselés rencontrent avec bonheur les musiques d’Erick Benzi (qui a composé pour de nombreux artistes dont
Jean-Jacques Goldman et Céline Dion), Françoise Hardy évoque beaucoup l’au-delà. « Dans ce décor crépusculaire / Malmené trop souvent par des courants, des vents contraires / Il me reste
peu de temps » (extrait de Train spécial). Auteure de presque toutes les nouveautés de l’album, elle a cependant retenu, comme premier single, le titre de La Grande Sophie, Le Large, reçu par
simple mail ! Humilité ? Pas seulement. Lucidité, parce qu’« il faut une locomotive pour tirer les wagons », nous a-t-elle confié.

Digressions sans filtre
Dès notre première question, l’éternelle égérie des sixties nous fait comprendre qu’il s’agira plus d’une conversation que d’une interview. A sa manière, elle choisit les armes. Des réponses longues,
interrompues par quelques petits rires gracieux, des digressions sans filtre, parfois des aveux, sans crainte. En résumé, Françoise Hardy nous a offert l’entretien rêvé, où toutes les audaces sont
autorisées, et où l’on a le sentiment que notre interlocutrice oublie un peu la promotion de son disque pour se livrer vraiment. La maladie, son rétablissement inespéré, le making-of de Personne
d’autre, sa relation avec Johnny Hallyday, France Gall, Michel Berger, Serge Gainsbourg... aucun territoire ne nous a été interdit. Pas même les sentiments qu’elle éprouve pour Jacques Dutronc
et son fils Thomas, par elle couvé de paroles protectrices. En cette annus horribilis pour la chanson française, qui a vu disparaître tour à tour le fils rebelle et la petite fiancée des Français, ce nouvel
album de Françoise Hardy nous rappelle que le temps des yéyés, dont on a parfois moqué la légèreté, fut une époque prolixe dont quelques figures ont traversé plusieurs décennies sans faiblir.
Et même, pour certaines, en vieillissant avec talent.

Le nouvel album
La sortie de votre nouvel album, Personne d’autre, est une surprise inespérée. En 2012, vous aviez déclaré que L’Amour fou serait le dernier...

Françoise Hardy "C’est effectivement un disque qui n’aurait jamais dû se faire. En 2015, après cinq mois d’hospitalisation éprouvants, j’allais très mal et je ne pouvais plus chanter. Déjà que je n’ai
pas beaucoup de voix (sourire). A cette époque, mon fils Thomas sortait son nouvel album, Eternels, jusqu’à demain, avec une reprise d’un standard américain que j’aurais adoré fredonner, comme à
chaque fois qu’une chanson m’obsède, mais c’était au-dessus de mes forces. J’ai dû refuser une proposition de duo avec Michel Legrand. Et puis ma voix a fini par revenir, miraculeusement.

Parmi les douze morceaux figure notamment une reprise de Seras-tu là, de Michel Berger. Pourquoi ce choix ?

C’est une chanson à la fois sacrée et bouleversante. Je l’ai écoutée un nombre incalculable de fois à sa sortie, en 1975. Je suis une inconditionnelle de Michel Berger, particulièrement de ses ballades
sentimentales. Il était au fond très romantique (sourire). Pour le disque du vingtième anniversaire de l’association Sidaction (Kiss & Love, en 2014, NDLR), Julien Clerc m’avait suggéré de
reprendre ce titre en duo, mais notre version était tellement décevante... Je suis toujours très affectée lorsqu’on rate une chanson à cause de la production. Alors j’ai décidé de lui offrir une seconde
chance.

Sur Personne d’autre, vous avez choisi la chanson écrite et composée par La Grande Sophie comme premier single, alors que vous signez presque tous les autres textes. C’est un exercice d’humilité,
non ?

Quand La Grande Sophie m’a envoyé sa maquette, je savais déjà que Le Large serait le premier single. Serge Gainsbourg, après avoir écouté mon album La Question (1971), m’avait dit : « A quoi
servent les beaux wagons s’il n’y a pas une locomotive pour les tirer ? » Depuis ce jour, j’ai toujours suivi son conseil pour extraire un tube de chaque album.

Pour revenir à votre longue hospitalisation, votre pronostic vital a même été engagé...

Oui, les médecins avaient fini par baisser les bras. Un jour, mon hématologue a appelé Thomas pour l’informer que la fin était proche et qu’il fallait demander à Jacques de rentrer de Corse.
Rendez-vous compte, j’étais descendue à 39 kilos ! Mon état de faiblesse était tel que la chimiothérapie était risquée pour soigner mon lymphome. Et c’est ce qui m’a paradoxalement sauvée.
J’ai commencé à redonner des signes de vie le jour où Thomas et Jacques étaient dans ma chambre d’hôpital.

Au sortir d’une telle épreuve, enregistrer un disque faisait-il partie de la liste de vos envies ?

Absolument pas ! J’avais juste besoin de raconter mon expérience, en écrivant ce petit livre au titre multiple, Un cadeau du ciel (Editions des Equateurs, 2016). Car je suis convaincue d’avoir été
aidée par les prières et la spiritualité. Je n’éprouvais aucune envie pour la musique. Pour tout vous dire, j’étais même plutôt soulagée à l’idée de ne plus chanter. C’est mon ami Marc Maréchal,
mon ancien attaché de presse, qui, sans m’avertir, a téléphoné à mon label pour relancer l’idée d’un album. J’ai alors commencé à recevoir des musiques, trop branchées à mon goût (sourire).
Sur YouTube, j’ai découvert ce groupe finlandais, Poets of the Fall, dont la chanson Sleep m’a instantanément subjuguée. Mais elle est extrêmement difficile à interpréter, même en adaptant le
texte en français. Erick Benzi, avec lequel j’avais déjà collaboré pour Tant de belles choses (2004), a été un musicien et réalisateur inspiré. C’est comme cela que je me suis laissée embarquer
dans la confection de ce disque.

Il y a une chanson, Train spécial, dans laquelle vous proposez à quelqu’un de partir avec vous vers l’éternité. Vous vous adressez à Dutronc ?

Oui, en effet (sourire). Il y a deux titres qui parlent du départ, Le Large, de La Grande Sophie, et Train spécial, où il est question de partir dans des espaces intersidéraux. Cette chanson s’adresse
à Jacques, mais il n’écoute jamais les disques avant leur sortie.

En interview, vous avez répété que La Question (1971) et Le Danger (1996) étaient vos deux albums fétiches. Comment situez-vous Personne d’autre dans votre discographie ?

J’aime aussi beaucoup L’Amour fou (2012). Ce nouveau disque a été très difficile à faire parce que j’ai multiplié les soucis d’ORL (les troubles de nez, de gorge, d’oreille). Pour la première fois
de ma carrière, j’ai des problèmes d’acouphènes. De toute façon, ce n’est pas à mon âge que je vais me mettre à groover comme France Gall ou Ella Fitzgerald (rires) !



Avec Jacques Dutronc et leur fils Thomas, à Paris, en 1976. (Jean-Claude Deutsch/Paris Match/Scoop)

Les années 1960
Ces derniers mois ont disparu Johnny Hallyday et France Gall, deux stars des années yéyé, qui figuraient sur la « photo du siècle » prise par Jean-Marie Périer dans la revue Salut les copains.
Comment avez-vous vécu ces événements ?

Je n’étais pas liée d’amitié avec France Gall, mais j’étais fan de la chanteuse. Quant à Johnny, je l’admirais énormément. Il était très malade quand je l’ai vu pour la dernière fois, pendant la
tournée des « Vieilles Canailles ». C’était une force de la nature. Avoir continué à monter sur scène, malgré son cancer... Sa mort a affecté la France entière. Pour l’anecdote, Johnny et moi
sommes nés dans la même clinique, à Paris ; Johnny, Jacques et moi avons grandi dans le 9e arrondissement de Paris. Sans nous connaître, nous avons donc effectué nos premiers pas dans le square
de La Trinité, où une statue à l’effigie de Johnny est en projet. Mais la disparition qui m’a laissé un grand vide, c’est celle de Serge Gainsbourg en 1991. Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’il
emportait notre jeunesse avec lui. Puis, il y eut la mort prématurée de Michel Berger, un an plus tard, en 1992...

Vous appartenez à une génération exceptionnelle d’artistes qui a marqué le paysage musical français depuis cinquante ans...

Certes, mais que reste-il de cette génération dans la mémoire collective ? Johnny, Eddy, Jacques, Sylvie et moi, éventuellement... J’ai découvert plus tard qu’il fallait distinguer les chanteurs
yéyé qui venaient de la classe populaire et les autres, comme France ou Michel, issus d’un milieu bourgeois.

La complicité entre ces artistes, qui semblaient tous « copains », était-elle réelle ?

Pas tant que ça ! On se voyait seulement de temps en temps, car nous travaillions sans cesse. Nous n’étions jamais chez nous.

Ressentez-vous une nostalgie pour cette époque, qui semblait empreinte de légèreté et de créativité ?

Bien sûr. Vous savez, je ne suis que nostalgie. C’était une période bénie. Jean-Marie Périer vous en parlerait beaucoup mieux que moi. Il faisait ce qu’il voulait, avec nous : Sheila et Sylvie Vartan
déguisées en Bécassine, moi en motarde. On s’amusait, la liberté artistique était totale. Aujourd’hui, on a l’impression que tout a été fait. Heureusement, certains artistes parviennent à sortir du lot,
comme Cigarettes After Sex, un groupe américain découvert grâce à Etienne Daho et qui me rappelle The Shadows, ou Juliette Armanet, la « fille » de Véronique Sanson et de Michel Berger, qui
ira très loin. J’ai écouté leurs albums en boucle. Vous savez, je suis du genre obsessionnel et compulsif (sourire). Depuis peu, j’ai une passion dévorante pour Oren Lavie, un artiste israélien connu
aussi pour son duo avec Vanessa Paradis. Le problème est qu’il y a désormais plus de chanteurs que de gens pour les écouter. Ce métier est devenu plus difficile et aléatoire qu’il n’a jamais été.

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Interviewant Serge Gainsbourg pour la télévision, le 11 octobre 1984, à Paris. (Jean-Marie Périer/Photo12)



La société
Avec la montée en puissance de ce qu’il est convenu d’appeler le « politiquement correct », vous vous dites que certaines chansons de Serge Gainsbourg, par exemple, ne seraient pas envisageables
aujourd’hui ?

Ce qui se passe en ce moment est excessif. Trop, c’est trop ! Je n’aime pas quand les femmes deviennent des procureurs généraux. Je souhaiterais d’ailleurs rappeler que, si certains hommes se
comportent aussi mal vis-à-vis de la gent féminine, c’est avant tout la faute de l’éducation parentale. Et la plupart du temps, les garçons sont élevés par leur mère. Or, il n’y aucune raison de
privilégier son fils par rapport à sa fille et de ne pas lui imposer des règles et des limites. Je pense aussi qu’il n’est jamais bon de raisonner de manière binaire.

Comme Catherine Deneuve et Catherine Millet, auriez-vous pu signer la tribune parue dans Libération, qui mentionne le droit à « une liberté d’importuner » ?

Non. Certains passages m’ont choquée. Et Catherine Millet m’a heurtée dans une interview télévisée. De toute façon, c’est très rare que je signe une pétition.

Vous êtes née à Paris, mais vous n’avez finalement jamais quitté la capitale...

C’est mon bocal. Je m’y sens toujours aussi bien. Mais je déplore la saleté des rues. Paris a la réputation d’être la capitale la plus sale d’Europe !

Icône des sixties, vous avez représenté le chic à la française, en traversant les modes...

Cela fait longtemps que je ne suis plus un modèle (sourire). Je reste fière d’avoir demandé à André Courrèges de m’habiller pour la scène. Quand je revois des photos de l’époque, je medis que la
tenue qu’il m’avait confectionnée est toujours aussi belle et moderne. Depuis des années, je suis navrée par les pages de mode dans les magazines. Je vois souvent des vêtements laids et importables.
Le mauvais goût a progressé.

En 1986, Etienne Daho et Jérôme Soligny vous avaient consacré une biographie, Superstar et ermite. Ce titre vous résume-t-il toujours ?

Ermite, bien sûr, mais sûrement pas superstar ! Quand je réécoute mes premières chansons, je suis horrifiée par mon timbre vocal et mes interprétations. A l’époque, j’essayais de chanter
comme Richard Anthony !



D’une sombre beauté
Le vingt-quatrième album studio de Françoise Hardy est à la fois inespéré et miraculeux. Dès les premières écoutes, Personne d’autre s’impose comme un grand cru et rejoint les enregistrements
majeurs de l’égérie des sixties (La Question, Et si je m’en vais avant toi, Message personnel, Le Danger, La Pluie sans parapluie). Le Large, magnifique titre écrit et composé par La Grande Sophie,
donne une tonalité crépusculaire à ce disque baignant dans un clair-obscur qui sied à merveille à la voix de Françoise Hardy. Comme à son habitude, elle a fait appel à des compositeurs fidèles
(Erick Benzi, Maissiat, Thierry Stremler), qui lui offrent le plus bel écrin mélodique pour chanter ses mots bleus (Un seul geste), ses tourments amoureux (Quel dommage), ou ses interrogations
existentielles (Personne d’autre). A la fin du disque, Françoise s’enhardit même, dans un registre plus léger, à faire Trois petits tours. Reste une question en suspens : Personne d’autre est-il son
ultime album ? F. V.

Personne d’autre, Parlophone/Warner Music, 15,99 €.

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