Montelepre, c’est en pleine campagne sicilienne, le nom d’un vaste domaine où
vit Francesco, dernier représentant d’une famille d’aristocrates ruinée. Au
milieu des cyprès se trouve le palais. Les marquis y avaient vécu des siècles dans
le faste et la grâce, salués bien bas par les croquants quand ils revenaient de
Palerme ou de Rome au galop de leurs équipages. Pourtant, le palais s’effritait.
Des créanciers osaient parfois venir réclamer leur dû. Le père de Francesco
n’avait fait que précipiter la débâcle. Il était joueur, buvait, aimait les filles.
Quand il était mort, dans un assez mystérieux accident, les Montelepre étaient
ruinés. Francesco ne s’en était pas ému.

Il avait continué à vivre dans le palais où il était né, où il avait grandi. Frugal, solitaire, dédaigneux.
Dans le parc, les ronces avaient effacé les allées. Les statues s’émiettaient sur les dalles des terrasses.
L’humidité rongeait les tapisseries moisies des salons. On lui conseillait de partir, de refaire sa vie. Un
Montelepre ne va pas quémander un emploi de fonctionnaire. Leur dernier descendant haussait les
épaules quand son unique ami, le vieux commandant de la gendarmerie locale, lui donnait ses sages
conseils. Il refusait de considérer l’avenir. Il attendait de s’effondrer sous les ruines de son palais et il
pourrait être heureux si personne ne convoitait ce qui lui reste de fortune, si personne ne voulait être
maître de la région à sa place.

Pourtant, si délabrée que fût la demeure, et pour démuni que fût l’héritier, la haine de Rizzardi ne
fléchissait pas. Jadis il avait servi le père de Francesco, qui l’avait ignominieusement chassé pour
indélicatesse. Il avait alors juré de se venger. “ Je prendrai ce palais, je vous en chasserai, monsieur le
Marquis. Je vous détruirai, vous et tout ce qui vous touche...

Rizzardi avait quitté la Sicile; pendant trente ans, en Amérique, il s’était enrichi: l’époque était propice
aux bandits. Mais ni sa puissance, ni ses dollars ne lui avaient fait oublier son serment. Il était revenu
en Sicile. Très vite, il y avait affirmé son pouvoir. Il avait acheté les terres, les fermes, corrompu les
consciences, terrorisé les honnêtes gens. Il faisait la loi. Il resserrait son étau autour du palais. Il
hésitait encore à affronter le dernier des Montelepre.




Jusqu’au jour où, rendu audacieux par l’impunité, Navarra, son homme de main,
chargé d’un obscur règlement de compte, avait, pour l’abattre, poursuivi sa
victime sur les terres du marquis. Francesco était intervenu. Une décharge de
plombs avait immobilisé le bras du tueur. C’était une déclaration de guerre. Ici
démarre l’histoire.

Le même soir, Rizzardi et ses gens envahissent le palais. Il a en main assez de
créances pour contraindre Francesco à vendre. Mais sa rancune ne peut se
satisfaire de cette victoire , que gâte le silencieux mépris de celui qu’il achève de
dépouiller. Il saccage les portraits de famille, il s’emporte au point de clamer
qu’il avait tué le vieux Montelepre , il en avait insulté la mémoire.

Alors d’un seul geste, avec le coupe-papier blasonné qui est le bureau, Francesco le marque au visage.
C’est son arrêt de mort. Francesco essaie encord’arracher un faux acte de vente de Rizzardi. En
quelques secondes Francesco est mis hors de combat. Mais il faut enregistrer l’acte de vente avant de
liquider celui qui l’avait signé. Cela donne à Francesco vingt-quatre heures de sursis.