Il avait continué à vivre dans le palais où il était né, où il avait grandi. Frugal, solitaire, dédaigneux. Dans le parc, les ronces avaient effacé les allées. Les statues s’émiettaient sur les dalles des terrasses. L’humidité rongeait les tapisseries moisies des salons. On lui conseillait de partir, de refaire sa vie. Un Montelepre ne va pas quémander un emploi de fonctionnaire. Leur dernier descendant haussait les épaules quand son unique ami, le vieux commandant de la gendarmerie locale, lui donnait ses sages conseils. Il refusait de considérer l’avenir. Il attendait de s’effondrer sous les ruines de son palais et il pourrait être heureux si personne ne convoitait ce qui lui reste de fortune, si personne ne voulait être maître de la région à sa place.
Pourtant, si délabrée que fût la demeure, et pour démuni que fût l’héritier, la haine de Rizzardi ne fléchissait pas. Jadis il avait servi le père de Francesco, qui l’avait ignominieusement chassé pour indélicatesse. Il avait alors juré de se venger. “ Je prendrai ce palais, je vous en chasserai, monsieur le Marquis. Je vous détruirai, vous et tout ce qui vous touche...
Rizzardi avait quitté la Sicile; pendant trente ans, en Amérique, il s’était enrichi: l’époque était propice aux bandits. Mais ni sa puissance, ni ses dollars ne lui avaient fait oublier son serment. Il était revenu en Sicile. Très vite, il y avait affirmé son pouvoir. Il avait acheté les terres, les fermes, corrompu les consciences, terrorisé les honnêtes gens. Il faisait la loi. Il resserrait son étau autour du palais. Il hésitait encore à affronter le dernier des Montelepre.
|